Banlieue: des jeunes exposés aux agents d’infiltration, l’affaire s’est terminée par un « échange de prisonniers »

Alors que l’armée est réquisitionnée pour participer aux opérations de maintien d’ordre suite aux violentes manifestations qui ont suivi la présidentielle du 18 octobre dernier, c’est une véritable chasse aux sorcières que se livrent manifestants et éléments des forces de défense et de sécurité, accusés d’avoir tué des dizaines de personnes ces derniers mois lors des marches de protestation.

Vendredi dernier, le 23 octobre, au moment où une partie de la ville de Conakry était à feu et à sang, c’est une scène inédite qui s’est produite à Samatra sur la Transversale 8, dans la haute banlieue de Conakry. Un homme en uniforme, soupçonné d’être un informateur des services de sécurité, a échappé de justesse à la colère des jeunes du quartier qui voulaient en découdre avec lui. Il doit son salut aux fidèles musulmans réunis dans une mosquée pour la grande prière du vendredi.

Adjuvant Georges, en service dans une unité de l’armée guinéenne, a été appréhendé par des jeunes du quartier qui l’accusent de s’être infiltré parmi eux pour tenter de les nuire. Joint au téléphone par Ledjely.com, la victime n’a pas voulu s’exprimer sur cet incident. Elle a toutefois laissé entendre qu’elle se porte bien à présent.

Du côté des jeunes du quartier, l’on se veut plus bavard. « Un pickup de la gendarmerie a arrêté un vieux qui venait prier. Nous, on leur a échappé de justesse. C’est ainsi qu’on a commencé à douter d’une probable infiltration et on a appelé tout un chacun à redoubler de vigilance. C’est ainsi que certains jeunes ont remarqué que ce monsieur (Adjuvant Georges) se soustrait de la foule pour passer des coups de fil. Quand il s’est senti menacé, il a essayé de fuir, mais deux jeunes l’ont rattrapé », a relaté au Djely un jeune leader de la localité.

Celui-ci a ajouté que c’est en mettant la carte SIM du suspect dans un autre téléphone qu’ils ont effectivement eu la confirmation, à travers les numéros de plusieurs officiers qui y étaient enregistrés, que le suspect est un agent, qu’il n’était pas un civil comme il le laissait paraitre.

Sur la même lancée, Elhadj Mamoudou, le 1er imam de la mosquée où l’agent en infiltration s’est réfugié, a explique comment il s’est retrouvé dans le lieu de culte. « C’est après la première partie du koutouba (sermon) que des groupes de jeunes ont accouru dans la mosquée. Ils se sont dirigés vers moi, pourchassant une personne frappée et qui saignait. Ils ont dit qu’ils voulaient le récupérer. C’est ainsi qu’on a rabattu les portes de la mosquée sur nous, laissant d’autres jeunes dehors. On a rapproché le blessé de nous. On a commencé à discuter avec les jeunes à sa poursuite, mais nous les sages nous nous sommes entendus de prier d’abord (conformément aux prescriptions religieuses : s’il y a une urgence, on peut arrêter le sermon et prier au plus vite). On a supposé que leur tension se serait baissée le temps qu’on finisse de prier. Et effectivement beaucoup d’entre eux ont prié avec nous. Dès qu’on a fini, certains ont commencé à jeter des cailloux sur le toit pour qu’on leur rende le suspect ».

Poursuivant, il explique le dilemme que lui et les autres imams de la mosquée ont eu. « Des jeunes sont en train d’être abattus par des hommes en uniforme. Donc quand ils voient l’un d’eux, les jeunes ont un esprit de vengeance. Cependant, on a estimé que puisqu’il est venu demander secours dans une maison de Dieu, il doit être protégé. Et puis si les jeunes arrivaient à l’arracher de nos mains, nous serons tous coupables de ce qui l’adviendrait. On s’est donc entendu de sensibiliser les jeunes, car certains sont connus dans le quartier (…) Ils ont accepté nos doléances à condition que leurs camarades incarcérés à l’Eco 16 de Samatra soient relâchés ».

Revenant sur les tractations qui se sont déroulées avec les agents de la gendarmerie pour la libération des personnes interpellées et les échanges de détenus, l’imam explique : « Entretemps, on a appris que la concession d’un des nôtres est en train d’essuyer des jets de pierres. On est donc sortis de la mosquée et on a aperçu des gendarmes descendus de quatre pickups de part et d’autre des rails se diriger vers la foule munis de cailloux. On s’est rencontrés à mi-chemin, mais on a pris notre courage à deux mains, on leur a demandé de retourner avec nous jusqu’aux bords des pickups. On a trouvé le commandant à bord. Quand il est descendu, on a discuté avec lui, et il s’est avéré effectivement qu’ils étaient venus chercher leur collègue démasqué par les jeunes. Entre temps, trois autres pickups d’hommes armés nous ont rejoints, mais le commandant leur a dit de retourner puisqu’on est en négociation. On leur a exposé le dilemme auquel on fait face, mais ils nous ont dit qu’ils ne retiennent aucun jeune. Après les tractations, les gendarmes m’ont dit de monter à bord d’un des pick ups avec d’autres sages pour aller vérifier à leur base. Et on a trouvé, effectivement, qu’ils avaient deux jeunes du quartier. Ils nous les ont remis. On est revenu avec eux jusqu’ici, et à notre tour on a escorté l’agent infiltré, jusqu’aux pickups ».

Selon un jeune du quartier contacté par nos confrères medias Ledjely.com, le calme semble y être revenu. « Nous les citoyens, toutes les ethnies confondues, avons pris des dispositions pour sécuriser notre secteur. Nous avons estimé que si les gendarmes commencent à venir jusqu’ici pour enlever les vieux, ils vont prochainement venir renverser les marmites de nos mères et sœurs et commettre des insanités comme ils le font ailleurs à Conakry. On a installé des points focaux, à travers treize groupes de jeunes pour monter la garde dans notre secteur, parce qu’ils sont en train d’arrêter des gens dans les environs, à Ansoumania, pour demander entre trois et cinq millions de francs guinéens en contrepartie de leur libération. Beaucoup de quartiers sont en train d’imités notre initiative. Depuis, il y a un certain calme qui règne dans notre secteur, parce qu’on a signé un pacte entre nous : que personne ne vienne nous déranger chez nous et nous aussi nous n’allons déranger personne », a-t-il indiqué.

Tout comme à Samatra, le calme est revenu dans le reste de la capitale guinéenne, après plus d’une semaine de violences ; particulièrement sur l’axe du prince où des violences meurtrières ont été enregistrées dès le lendemain du scrutin du 18 octobre. Cependant, les activités économiques peinent à retrouver leur fonctionnement normal. Boutiques et magasins restent fermés, les marchés partiellement ouverts. Le long de la route Le prince, on remarque des hommes armés inspectant les quelques rares véhicules qui s’y aventurent.

A Sonfonia, certains d’entre eux aident des ingénieurs à reverser du sable sur de l’huile de moteur déversée sur la chaussée, suite à l’attaque du train minéralier de Fria au cours de laquelle quatre personnes dont trois gendarmes, selon les autorités guinéennes, ont perdu la vie.

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