Guinée Covid19 teste : l’égalité des sexes en Guinée

Covid19 teste l'égalité des sexes en Guinée

Covid19 teste l'égalité des sexes en Guinée

Les inégalités entre les hommes et les femmes constituent les formes d’inégalités les  plus universelles et les plus structurantes de nos sociétés. Qu’il s’agisse de la France,  du Nigéria, du Brésil, en passant par le Japon jusqu’en République de Guinée, les femmes sont en  premières lignes d’un système économique injuste et sexiste qui les réduit à des  pans de l’économie les plus précaires et les plus dévalorisés. Toutes ces injustices ne  sauraient être sans souligner toutes les formes de discrimination et de violences  subies par les femmes dans la sphère familiale et professionnelle. Par ailleurs,  pendant qu’aux quatre coins du monde, les pays s’efforcent actuellement de contenir  la propagation et les conséquences de l’épidémie du Covid-19 (coronavirus), les  enseignements tirés de circonstances similaires ont su démontrer que les femmes  ainsi que filles en sont différemment affectées contrairement aux  hommes, et qu’elles sont  à plusieurs égards les plus durement touchées.  

En effet, nous pourrons bien assister à une aggravation des inégalités entre les sexes pendant et  après la l’épidémie et à une perte des acquis enregistrés pendant plusieurs décennies  dans l’accumulation de capital humain, l’émancipation économique et la capacité de  décision et d’action concernant spécifiquement les femmes. A titre d’exemple, durant  la crise d’Ebola de 2014 à 2016 en Afrique de l’Ouest, nous savons déjà que les femmes  ont été les plus vulnérables à la maladie compte tenu du rôle traditionnel d’aidantes  de proches malades auxquelles elles jouaient au sein de leur famille. De plus, bien que les  revenus de tout le monde aient été affectés par la crise d’Ebola, les femmes ont mis  plus de temps à retrouver leur salaire d’avant – crise, selon des chercheurs. En ce  qui concerne la Guinée qui constitue le terrain de ce article, les politiques publiques en matière de santé  ont été d’une très forte implication dans la gestion de ces précédentes épidémies mais au moyen de stratégies qui se sont montrées parfois inefficaces. Au regard de ce  constat, nous cherchons dans cet article, à démontrer que ces expériences précédentes  permettent de nourrir une réflexion sur la place de la femme en tant que couche  vulnérable au sein de la société guinéenne durant l’épidémie du coronavirus (C.O.V.I.D – 19). Cet article ne prétend pas à l’exhaustivité, le but étant de traduire quelques  conséquences du C.O.V.I.D – 19 dans le cadre des stratégies mises en œuvre par  le gouvernement afin d’assurer la sécurité sanitaire des populations guinéennes, en  termes d’égalité des sexes de manière générale. Mais aussi d’autonomisation des  femmes plus spécifiquement. Nous pourrons aussi explorer de possibles apports dont  elles auraient pu être à l’œuvre dans la lutte contre l’épidémie. Ainsi, nous proposons  d’abord, dans la partie qui suit, de dresser une succincte description de l’état de la  pandémie dans le monde ainsi qu’en Guinée.  

Le C.O.V.I.D – 19 dans le monde et en République de Guinée.

Le 31 décembre 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a été alertée de  plusieurs cas de pneumonie dans la ville de Wuhan, province du Hubei en Chine. Une  semaine plus tard, les autorités chinoises ont confirmé qu’elles avaient identifié un  nouveau coronavirus responsable de la pneumonie. Le 30 janvier 2020, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a  annoncé que l’épidémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), était une «  urgence de santé publique de portée internationale » avec des recommandations  provisoires à l’usage de tous les pays. Le 11 mars, la maladie a été qualifiée de  pandémie. Ainsi, le monde entier fait face à une crise sanitaire sans précédent.  D’après le SITREP (situation reportde l’OMS du 9 avril 2020, on comptait près de 1,5 million de cas  confirmés depuis le début de l’épidémie et près de 90.000 morts. Selon les données  du SITREP de l’OMS-Afrique (18 Mars 2020), c’est en Egypte, le 15 avril 2020 que le  1er  cas aurait été détecté. Depuis, le nombre de cas ne cesse de progresser affectant  plus de 35 pays dont sept pays ayant enregistré une transmission locale, dont la  Guinée qui a enregistré son premier cas confirmé le 12 mars 2020 dans la capitale  (Conakry). Le Président de la  République Alpha Condé avait déclaré l’état d’urgence sanitaire sur toute l’étendue du  territoire le 26 mars 2020 pour une durée d’un mois, reconductible. Le Lundi 6 avril  2020, le Gouvernement Guinéen a engagé son Plan de riposte économique à la crise sanitaire COVID-19, pour contenir et juguler l’épidémie, atténuer les conséquences de  la crise sanitaire, notamment pour les ménages en situation de précarité et pour mitiger  les effets de l’épidémie. Mais COVID-19 est bien plus qu’une crise sanitaire. En  mettant sous pression chacun des pays qu’elle touche, notamment la Guinée, la  pandémie a le potentiel de créer des crises économiques, politiques et sociales  dévastatrices qui laisseront de profondes cicatrices. Sur le plan social, la pandémie  de Coronavirus (C.O.V.I.D – 19) a révélé et aggravé de nombreuses inégalités  préexistantes en Guinée. En outre, le déséquilibre entre les sexes, auquel s’ajoutent  les effets de la pandémie, du confinement et du ralentissement de l’économie, pourrait  avoir des conséquences profondes et durables sur les discriminations à l’encontre des  filles et des femmes. La société guinéenne, qui à l’image de nombre des pays d’Afrique, demeure marquée par de profondes inégalités entre les hommes et les femmes. 

Quelques pistes sur l’état des inégalités de  genre en Guinée.  

Mais, pour comprendre les mécanismes de production de ces inégalités, il paraît essentiel et primordial de définir ce que c’est que cet outil que représente « le genre ». En effet, le genre peut être défini comme étant « les  rapports sociaux de sexe ». En outre, il s’agit des fonctions sociales et culturelles attribuées à chaque sexe et qui donne lieu à des responsabilités différenciées et inégalitaires entre  les hommes et les femmes en termes de réalisations. Elles constituent un obstacle  majeur au développement humain, et sont mesurées par le Programme des Nations  Unies pour le Développement (PNUD) par l’Indice d’inégalités de genre (IIG)Le genre  structure toute société dans ses rouages les plus fins que ce soit les rapports aux  autres, les rapports à soi-même, la médecine, la maladie, le soin, le travail, la sphère  professionnelle, la sphère politique etc. Le genre structure en rapport de domination  tous les aspects de la société et notamment, la sphère de la santé etc. Comme  souligné ci – dessus, la pandémie pourrait exposer et exacerber toutes ces différentes  formes d’inégalités, justifiant ainsi du thème « Stop COVID 19 : comment protéger la  santé et les droits des femmes et filles »choisi par le gouvernement en Guinée pour  célébrer la journée internationale de la population sur toute l’étendue du territoire Guinéen. En effet, en dépit des progrès sensibles enregistrés en matière de santé sexuelle et  reproductive, la Guinée reste un pays où beaucoup reste à faire. Les statistiques  fournies par la Direction Nationale de la Population et du Développement, indiquent  que le taux de prévalence contraceptive est passée de 3% en 1992 à 11 % en 2018,  (ii) les besoins non satisfaits en matière de planification familiale sont de 22%, contre  une moyenne de 52% en Afrique. (iii) le taux de mortalité maternelle est passé de 926  en 1992 à 550 femmes pour 100 000 naissances vivantes en 2018 contre, moins de  100, prévus par la CIPD (Conférence Internationale pour la Population et le  Développement). En Guinée, les mutilations génitales féminines vont bon train. En  effet, la pratique s’impose au sein de toutes les ethnies, toutes les religions et tous les  milieux socioprofessionnels. Si la pratique tend à diminuer au niveau international, elle  tend à augmenter en Guinée car le pays occupe ainsi le 2erang au classement mondial  derrière la Somalie et le taux de prévalence y est de 97% pour les femmes de 15 à 49  ans. Aussi, selon une enquête nationale concernant les violences basées sur le genre (VBG) datant de 2016, 29,3% des femmes et filles de 15 à 64  ans ont subi au moins une violence sexuelle. La même étude indique que 36% des femmes/filles de 15 à 24  ans sont également victimes d’au moins une violence sexuelle. Certes, des actions  ont été engagées. Cependant, une gestion biopolitique de la pandémie du coronavirus sans  une prise en compte par le gouvernement guinéen des multiples facettes des  inégalités de genre pourrait porter un coup à plusieurs années de lutte en faveur de la  lutte pour l’égalité entre les sexes dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Ainsi, dans la partie qui suit, nous  verrons dans quelles mesures les choix politiques seraient susceptibles de porter  atteinte à ces droits. 

Les filles et les femmes : Ces couches sociales les plus vulnérables et fragilisées par la pandémie.  

La C.O.V.I.D – 19 expose les femmes à des risques sanitaires et économiques  intrinsèquement liés aux rôles qu’elles remplissent dans leur communauté et à leurs  responsabilités dans les soins qu’elles dispensent chez elles et dans leur famille. Comme précédemment indiqué, la Guinée a enregistré officiellement son 1er cas de  COVID-19, le 12 mars 2020. Et depuis, le nombre de cas total confirmés, à la date du  24 juillet 2020 est de : 6 867 dont 2.101 femmes. Dans la dynamique de riposte  nationale contre le COVID–19, les femmes représentent la majorité des agents de  santé, en première ligne, devenant ainsi très exposées aux effets du coronavirus. Sur le plan socio-économique, elles travaillent dans des conditions difficiles et sont plus  affectées par les impacts économiques de la pandémie. La fermeture des écoles,  associée aux besoins accrus des personnes âgées, a considérablement augmenté le  travail de soins « non rémunéré » des femmes. D’où la pertinence du choix de ce  thème central, en lien avec la protection de la santé, des droits des femmes et des  filles, dans le contexte du COVID–19 en République de Guinée.  

Nous nous souvenons durant d’autres crises sanitaires, celle à virus Ebola par exemple, que  les infections étaient potentiellement catastrophiques pour les femmes enceintes.  Pourtant, l’accès aux services de planning familial était très limité, et les femmes enceintes ou allaitantes étaient exclues des campagnes de vaccination contre les virus. Ce fait souligne à quel point il est important de maintenir les services de santé  maternelle pour éviter une résurgence brutale de décès en cours d’accouchement, et  d’assurer un accès équitable des femmes au développement et à l’utilisation de tous  les produits médicaux, y compris l’accès aux vaccins une fois qu’ils ont été produits. La C.O.V.I.D-19 vient rappeler les mauvais souvenirs de la crise Ebola  marquée par une très forte affectation des établissements sanitaires. En outre, 94  centres de santé (soit 23 %) étaient fermés en novembre 2014 à cause de la désertion  et/ou de décès du personnel de santé. Un hôpital de district a également été fermé en  décembre 2014. Ce bilan s’ajoute au pourcentage déjà suffisamment élevé des infrastructures en  mauvais état (57 %) et dégrade les conditions d’accessibilité difficile mentionnées ci – dessus. La couverture en équipements requis, la disponibilité en eau potable et en  électricité n’est une réalité que dans moins de 10 % des centres de santé. La pandémie à COVID-19 survient en Guinée dans un contexte qui vient contrarier les  efforts de renforcement des capacités du système de santé qui commençait à se  relever de la précédente épidémie d’Ebola. Ainsi, la propagation rapide de l’épidémie pourrait être  très préjudiciable aux acquis préalablement obtenus en matière de soins de santé notamment  maternelle et infantile. Dans le domaine de la protection contre les violations des droits de l’homme  (économiques, civils, culturels, sociaux et politiques), les violences faites aux enfants  y compris les violences sexuelles, déjà récurrentes dans le pays, pourraient  s’intensifier (55,7% des femmes ont subi au moins une forme de violences physiques  depuis l’âge de 15 ans et 29.3% des femmes ont subi au moins une forme de violence  sexuelle depuis l’âge de 15 ans. MICS 2016). Le confinement imposé en Guinée a  également eu de terribles conséquences pour les filles les plus jeunes. Privées d’école, elles  disparaissent plus facilement des radars. Autre raison, économique cette fois. En effet, les  exciseuses échangent leurs « services » contre des revenus, non négligeables en ces  temps de pandémie où les ressources se font encore plus rares. Toutefois, il est  encore un peu tôt pour rassembler des informations à ce sujet car, il est très difficile  d’obtenir des chiffres : parler d’excision reste tabou en République de Guinée. Cependant, en Guinée  force a été de constater que les préparatifs pour les cérémonies d’excision de l’été  dernier ont connu une forte recrudescence puis n’ont pas du tout ralenti, bien au contraire. Aussi, nous pouvons nous attendre à ce que l’accès des ménages aux services sociaux essentiels et  aux activités génératrices de revenus soient davantage la conséquence des mesures  de restriction à la mobilité humaine (mesures de confinement partielles et les  restrictions liées aux déplacements infrarégionaux) prises par le gouvernement pour  riposter à la crise du COVID-19. Toutefois, en plus de leur forte implication dans les  services de soins, les femmes travaillent en première ligne face à la crise du COVID-9 notamment pour la fabrication des masques de protection individuelle afin de  renforcer le respect des gestes barrières. Avec l’appui du gouvernement guinéen dans  la riposte, ces masques concourent à réduire considérablement le risque de  contamination à travers une distribution massive aux couches les plus vulnérables. C’est le cas de l’Association des Femmes couturières de Koundara qui existe depuis  maintenant 20 ans. Cette association comprend 12 membres qui ont activement  concouru à l’effort national dans la production des masques. 

La crise du coronavirus intervient déjà dans un contexte d’inégalité croissante entre  les sexes en termes de revenus. Cette opportunité est donc apparue comme une  bouffée d’oxygène pour l’activité des femmes en ces moments difficiles. Cette association a  donc fabriqué plus de 5 250 masques non sans tenir compte des dispositions qui  s’alignent aux recommandations globales pour éviter la propagation du COVID-19.  En outre, 10 membres ont été mobilisés pour la confection des masques, en raison de  525 masques par personne et seulement 2 personnes par atelier pour le respect des  distanciations sociales. Enfin, la leçon la plus évidente à tirer du COVID-19 est la  nécessité de veiller à construire aussi bien pour la Guinée et le monde, des économies  et des sociétés plus équitables, plus inclusives et qui tendent à se pérenniser. Pour répondre aux  objectifs de développement durable déjà éprouvés par la crise, celles – ci doivent  à travers les plans de relance, passer notamment par la mise en place de politiques économiques et sociales qui tiennent compte des questions de genre, qui placent la vie économique des filles ainsi que femmes  au cœur des mesures prises pour lutter contre la pandémie. 

Mohamed Lamine Keita, doctorant en Géographie à l’Université de Poitiers.

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