Le CNRD viole les engagements internationaux contractés par la Guinée et s’expose à des condamnations (Nadia Nahman)

C’est une bien drôle de façon de s’atteler à l’exercice de refondation de l’État réclamé à cor et à cri en en torpillant les fondements juridiques internationaux qui pourtant revêtent une autorité supérieure à celle des lois nationales. A peine remis du traumatisme de la fraude à la Constitution issue du coup d’état constitutionnel de 2020 que nous revoilà plongés dans les abysses d’une interprétation délibérément erronée de la Charte de la transition que la junte guinéenne nous a unilatéralement imposés à la suite du coup d’état militaire du 05 septembre 2021.

En effet, la Charte de la transition, taillée sur mesure pour cette nébuleuse dénommée CNRD, dispose en son article 74 que : « les traités et accords internationaux précédemment conclus par la République de Guinée et régulièrement ratifiés demeurent en vigueur, sous réserve de réciprocité ». Or, en interdisant de manière absolue et générale, dans son communiqué N°012/CNRD/2022, « toutes manifestations sur la voie publique », le CNRD viole les engagements internationaux contractés par la Guinée et s’expose ainsi à des condamnations, conformément au droit international des droits de l’homme.

Le droit international des droits de l’homme consacre à la quasi-unanimité la liberté de manifestation, laquelle se retrouve englobée dans la liberté de réunion.

Il en est ainsi tout d’abord de l’article 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) à laquelle la nébuleuse ne manque pourtant pas de réitérer son attachement dans le Préambule de sa Charte. Ledit article consacre le droit de toute personne « à la liberté de réunion et d’association pacifiques ». Bien que dépourvue de valeur juridique contraignante, la DUDH n’en revêt pas moins une autorité morale et constitue la matrice de textes contraignants tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 dûment ratifié par la Guinée le 24 janvier 1978.

Le Pacte onusien énonce en son article 21 que : « le droit de réunion pacifique est reconnu. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui ».

La Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples dûment ratifiée par la Guinée en 1982 n’est pas en marge de la consécration quasi-unanime du droit de manifester en droit international des droits de l’homme, puisqu’elle consacre en son article 11 le droit de toute personne à « se réunir librement avec d’autres », tout en mentionnant que « ce droit s’exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires édictées par les lois et règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé, de la morale ou des droits et libertés des personnes ».

Le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2000 de la CEDEAO sur la démocratie, la bonne gouvernance et les élections auquel la junte réaffirme son attachement aux valeurs et principes démocratiques, dans le préambule de sa Charte,  énonce en l’article premier alinéa (h) de la section (I) relative aux principes de convergence constitutionnelle ce qui suit : « les droits contenus dans la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples et les instruments internationaux sont garantis dans chacun des États membres de la CEDEAO».

En outre, sied-t-il de rappeler que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dûment ratifiée par la Guinée en 1977, prohibe, en son article 5, la discrimination dans l’exercice de la liberté de réunion et d’association pacifique. C’est également le cas de l’article 15 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, qui reconnait à ce sujet spécifique la jouissance des libertés d’association et de réunion pacifique. Ladite Convention à quant à elle été ratifiée en 1990.

Lors de sa 68ème session ordinaire qui s’est tenue du 14 avril au 4 mai 2021, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples interpellait notre pays en ces termes : « En Guinée, toute initiative de manifestation publique a été réprimée et les organisateurs arrêtés. Les législations restrictives des libertés fondamentales, telles que la loi de 2019 sur la prévention et la répression du terrorisme et le Code pénal révisé de 2016 sont utilisées contre les opposants politiques et les défenseurs des droits humains ».

C’est à se demander si la frilosité ambiante de la nébuleuse en matière d’exercice du droit constitutionnel et universel de manifester ne réside pas dans la crainte obsessionnelle de perpétrer les erreurs du passé, celles-là mêmes qu’elle fustigeait dans son exposé des motifs pour justifier son coup de force. Le « plus jamais ça » scandé de manière larmoyante n’était-il qu’une formule incantatoire psalmodiée sans grande conviction ? La Guinée ne serait-elle plus digne « qu’on lui fasse l’amour » ? Les opposants politiques et les défenseurs des droits humains doivent-ils de nouveau craindre que l’exercice de leurs droits fondamentaux les plus élémentaires ne les conduisent soit à la morgue, soit en prison dans le meilleur des cas ?

Hegel a raison lorsqu’il disait que « De l’histoire, nous apprenons que nous n’en apprenons rien ». Gageons que la nébuleuse médite longuement sur la profondeur de cette citation.

Nadia Nahman Barry

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